La Kaaba est-elle islamique ? Par Le Frère Amnhmht Dibombari

Comme nous l’apprennent les livres d’histoire, la Kaaba, le Saint des Saints de la religion musulmane, existât bien avant la naissance de l’Islam. L’Islam, pour ce fait, n’a pas l’originalité de ce lieu de vénération et tient le pèlerinage qu’on y réalise d’une tradition qui lui est antérieure. Quel Dieu vénérait-on à la Kaaba avant l’Islam ? La tradition islamique donne à Abraham et Ismaël d’avoir bâti cet édifice remarquable. Cet avis relève de la foi et ne s’appuie sur aucune donnée scientifique. Il est impossible de questionner la foi puisqu’elle relève de l’irrationnel et parfois de l’irraisonnable, voilà pourquoi nous fondons cette étude sur des faits vérifiables que chacun pourra éprouver.

Si l’on fait le choix de l’Histoire et non celui de la fable, on remarquera déjà ce que notait James Bruce, voyageur britannique, qui visita l’Arabie au 18ièmesiècle. On lit : « Presqu’au milieu de la Péninsule d’Arabie, il y avait un Temple, pour lequel on conservait la plus grande vénération, depuis plus de quatorze cent ans. Les Arabes racontent que ce fut là qu’Adam planta sa tente, lorsqu’il fut chassé du Paradis Terrestre. Cependant Ève, par je ne sais quel accident, mourut, et fut enterrée sur le rivage de la mer Rouge, à Jidda;et, à deux journées de marche, à l’Orient de cette ville, on montre encore sa tombe, couverte d’un tapis de gazon verdoyant, qui a une cinquantaine de pas de long. Dans le Temple de la Péninsule, il y avait une pierre noire sur laquelle,dit-on, Jacob eut, ainsi que l’Écriture le rapporte, la vision des Anges, qui descendaient et remontaient l’échelle qui touchait au Ciel. L’on raconte aussi, et c’est un peu plus vraisemblable, que ce Temple fut bâti par Sésostris, pendant son voyage en Arabie; et que ce Prince y était adoré, sous le nom d’Osiris, comme il l’était alors dans toute l’Égypte » (James Bruce, Voyage en Nubie et en Abyssinie, Tome 1,p.588).


Les remarques sur la vraisemblance de l’initiative africaine à l’origine de l’érection de cet édifice vont être confirmées par les faits qui vont suivre. Toutefois, avant d’aborder cette question, nous souhaitons au préalable rappeler ce qu’il faut entendre par le mot « Arabe ».


Ara, "brûler", "charbonner"

Le terme « Arabe » dérive du radical sémitique « ara » qui a le sens de « brûler ». Ce radical forme le mot « erebos », l’Érèbe, le Séjour des morts dans la tradition grecque. L’Érèbe est le frère et l’époux de Nyx, la nuit. L’Aras, le Séjour des Bienheureux de l’Islam, offre le même radical « ara ». L’Aras est traduit par « foyer », d’où il ressort la même idée de « brûler ». Cette étymologie donne au mot « Arabe » un champ sémantique qui se rapporte à l’idée de noirceur, de brûlé, de charbon, etc. Cette étymologie rejoint les remarques de Bertram Thomas au sujet des premiers habitants de la péninsule arabique. Celui-ci note : « Selon Sir Arthur Keith, l’un des plus éminents anthropologues du monde qui a étudié les squelettes des Arabes antiques comme modernes, les premiers habitants de l’Arabie n’avaient rien à voir avec les Arabes qui nous sont aujourd’hui familiers : c’était un peuple au teint bien plus foncé. Une ceinture humaine proto-négroïde s’étendait sur toute la largeur du monde antique depuis l’Afrique jusqu’à la Malaisie » (The Arabs, p.339).


Cette ceinture « proto-négroïde » est à l’origine de toutes les Civilisations qui naîtront de l’Afrique jusqu’en Malaisie. Le terme « Malaisie » dérive de Mala, Mali, etc., synonymes pour « Noir ».


Ces Arabes décrits par Sir Arthur Keith ont été subjugué par des peuples arrivés d’Asie (Nord-Est) et qui montrent à l’évidence un phénotype qui les éloigne de l’autochtone « Arabe ». Cheikh Anta Diop faisait observer qu’on pouvait encore voir au Musée de Ryad, en Arabie Saoudite, des peintures rupestres montrant le type négroïde qui habitait la péninsule au Néolithique. Ces populations sont les témoins de l’érection de la Kaaba, le plus ancien monument religieux attesté dans cette partie du monde, et leur disparition progressive aura certainement facilité la récupération tardive du génie architectural manifesté en ce lieu. Aujourd’hui, il existe une littérature qui veut voir dans Noé, Abraham, Ismaël, Jacob, etc., une lignée africaine; cette tendance à noircir des personnages fantomatiques pour aménager l'étroitesse de la remorque qu’on aura choisi d’être pour les religions coloniales n’en fera encore pas des personnages historiques, car les faits sont réfractaires à de telles considérations.



La Kaaba / Le Cube


Kaaba, Ka’ba, Kaba, etc., signifie « le Cube ». On reconnaît que le cube est un polyèdre régulier (hexaèdre) que Platon, dans le Timée, place dans l’image de la terre, l’un des quatre éléments qui, avec le tétraèdre (feu), l’octaèdre (air) et l’icosaèdre (eau), aura servi au Démiurge pour accomplir la Création. Le texte de Platon, nous l’avons maintes fois rappelé, s’inspire de la cosmogonie d’Iounou (Héliopolis), le premier corpus philosophique que l’Histoire atteste. La constance avec laquelle Platon s’appliquera à ne jamais révéler ses sources est à l’origine de nombreuses confusions, ce qui laisse un caractère vertigineusement spontané à ses trouvailles. Cheikh Anta Diop ayant relevé cette tendance chez le philosophe grec qualifie de « piètre et dégradé » l’exposé de Platon, ajoutant que : « Platon et Eudoxe séjournèrent pendant treize ans à Héliopolis même, ville où naquit la cosmogonie dite héliopolitaine dont Platon s’est étroitement inspiré dans le Timée, allant jusqu’à reproduire même les phrases des textes égyptiens sans les citer, comme lorsqu’il écrit :« Ce qui devint est devenu; ce qui devient est en train de devenir… (Timée, 38b.) » (Cheikh Anta Diop, Civilisation ou Barbarie, p.434).


Dans une récente étude,nous avons montré le lien que les polyèdres réguliers entretiennent avec le texte de la Genèse abrahamique et la naissance des personnages d’Adam et Ève. Adam, nom dérivé d’adama, la terre, est dans la figure du cube, c’est-à-dire Geb; et Ève dérive d’hawwah, verbe qui a le sens de se courber, s’incliner, se prosterner, position que montre Nout sur les papyrus (Greenfield) consacrés à la philosophie héliopolitaine. Ainsi compris, Nout, la courbée, correspond à l’élément « eau », à l’icosaèdre.

Nout et Tefnout sont des noms qui s’écrivent avec le signe du vase nou, qui contient une mesure de l’eau primordiale, d’où le rapport établi entre ces divinités, l’eau et l’humidité respectivement. Adam/Geb, la terre, correspond au cube duquel on ôte une arête (vertèbre) pour obtenir un icosaèdre, Ève/Nout. En effet, pour représenter le cube sur une surface rectiligne (plane), celle qu’utilise le géomètre kémite, on trace six triangles; de même, pour représenter l’icosaèdre sur une surface rectiligne, on trace cinq triangles. On aura donc retiré un triangle du cube, comment ? En éliminant une arête (vertèbre) du cube pour aboutir à l’icosaèdre.


Cette remarque est confortée par le sens même du mot « cube » qui signifie à la fois « vertèbre » et « se coucher ». Geb montre une position couchée sur les papyrus qui lui sont consacrés.



Geb/Koba (couché), Nout (courbée) incarnent respectivement le Cube et l'Icosaèdre


Le mot « Cube » vient du latin « cubo » qui correspond à l’action de se coucher, d’être couché ou de dormir. Le texte biblique précise :« Alors Dieu fit tomber un profond sommeil sur l’homme, qui s’endormit; il prit une de ses côtes, et referma la chair à sa place… ». Le lien est donc maintenu. Dans la langue arabe, l’endroit où l’on se couche, synonyme de tente, se nomme al-koba. Dans le passage cité plus haut, James Bruce rapporte l’idée suivant laquelle les Arabes affirment que la Kaaba désigne le lieu où Adam planta sa tente, toutes allusions qui renvoie à Geb; car, en effet, Koba est bel et bien le nom de Geb,reconnu et pratiqué comme tel chez les Bassa du Cameroun qui l’assimilent au Benou (Phénix, KobaKoba), oiseau mythique né de l’œuf que pondit Geb/Koba (cf : cosmogonie hermopolitaine).



Les polyèdres réguliers et la naissance d'Adam et Ève


Chez les Ekan, Geb devient Ntondobe, le Soutien du Ciel, conforme en cela au rôle d’Atlas à lui attribuée par la mythologie grecque. Notons ce qu’en dit P.-F. Edongo Ntede : « Les Béti avaient élaboré une vision du monde tangible, une cosmographie assez précise qui représentait la Terre comme un vaste plan légèrement incliné vers le sud-ouest (direction des cours d’eau), entouré du gouffre ou fleuve mystérieux de l’Océan (dont on parlait sans l’avoir vu), surmonté d’une immense marmite ou calebasse renversée qui forme la voûte du ciel. L’un des noms de Dieu est Ntondobe, Soutien de la Marmite; l’un des symboles est le poteau central qui soutient le toit d’une case, mais peut-être aussi le soleil que l’on appelle Nlo Dzob, la Tête du Ciel, tandis que la lune est Ngon Zamba, la Fille du Démiurge. Sous terre se situe un enfer au sens étymologique du mot, un monde inférieur dont on ne sait pas grand-chose,sinon qu’il renferme l’immense village des morts, négatif de celui des vivants, peu éclairé la nuit par le soleil qui rentre en terre d’un côté pour en sortir par le côté diamétralement opposé. » (Ethno-anthropologie des punitions en Afrique, p. 57). Un chant Mvett popularisé par E. Mveng rend compte des attributs de Ntondobe : « Je dis. Je dis seulement. Que ceux qui veulent dansent. Mais que les Sages comprennent. Je suis sage, il est vrai. Mais Ntondobe est plus sage. Ntontobe c’est la flamme. Ntontobe est avant tout la pierre et le bois. Ntondobe c’est l’eau. Ntondobe est avant tout la terre et la source. Lui prend-il une colère, il brûle. Est-il comblé de joie, l’eau tombe. Je dis. Je dis seulement… » (Cité par P. Laburthe-Tolra, Initiations et Sociétés secrètes au Cameroun…, p.35).

La plénitude à laquelle se rapporte Ntondobe dans le mythe beti est identique à celle de Geb dans les textes de Kôm Ombo. C. Traunecker revient sur ces aspects du Dieu : « Un autre texte de Kôm Ombo est particulièrement intéressant car il s’agit d’épithète de Sobek-Geb de Gebel Silsilé très proche de notre texte : Geb, père des dieux, qui a crée tout ce qui est, qui a fait venir à l’existence tout ce qui existe, le tertre (bnw) portant toutes choses sur son dos. Bnw, le tertre primordial gonflé de sève vitale est la manifestation première de Geb. (…) Nbd désigne la terre entière, mais plus particulièrement ses fondations. (…) Nbd étant volontiers employé pour désigner le sol sur lequel repose un bâtiment, on peut se demander si le nbd sur le dos de Geb/benou n’est pas une image de la terre en tant que fondement de toute chose, couche nourricière d’où vont surgir les plantes et qui supportera la demeure éternelle des dieux. » (Coptos, p. 152-153). Sur le lien avec Atlas, nom constitué sur le radical tlaô, porter, nous pouvons rappeler le rapport établi par Aristote qui l’assimile au support du ciel pesant et fixe autant qu’à la force initiatrice de la rotation céleste.




Sesostris


Ainsi trouve-t-on résumé la naissance d’Adam et Ève dans le déploiement des polyèdres réguliers, le cube et l’icosaèdre, reconnus dès la Cosmogonie héliopolitaine, corpus philosophique qui précède de plusieurs millénaires les traditions abrahamiques. L’allusion à Sésostris, bâtisseur de la Kaaba, Maître du Retenou, se trouve confortée à travers ces remarques préliminaires d'ordre historique.